Lundi 24 janvier 2011

Bernard Clavel

Quand il était enfant, il souffrait de ne pas avoir assez d'argent. Il avait la passion de lire.

Quand il a obtenu le prix Goncourt, il a annoncé à son éditeur qu'il se mettait à sa disposition pendant trois mois puis qu'il fallait le laisser en paix car contrairement à ceux qui maximise leur prix en en faisant la promotion pendant cinq ans, lui son objectif c'est d'écrire. D'ailleurs, certains lui ont dit que son livre de l'année suivante avait atténué le succès du prix.

Quand il fait paraître un livre cela ne le gène pas de passer rapidement en livre de poche, car il travaille pour ses lecteurs et il en veut le maximum.

Les 2,5 millions de vente de l'un de ses livres, il le doit aux instituteurs et aux enseignants qui en ont fait la promotion auprès de leurs élèves.

Comment s'est mis en place ce processus éthologique?

En voici une hypothèse.

Nous sommes dans un groupe humain organisé c'est-à-dire plutôt stable dans la durée. Nous allons supposer qu'il vit sur le même territoire de manière paisible depuis une centaines d'années, c'est-à-dire une quasi éternité pour ceux qui n'ont pas atteint cet âge.

Dans ce groupe, il y a un humain qui raconte des histoires qui plaisent à son entourage immédiat. Il trouve ses ressources de vie à travailler la terre. Un jour, on lui fait un cadeau soit en remerciement soit pour l'inciter à raconter une autre histoire. Puis s'établit la règle de toujours lui faire un cadeau préalable.

Lui ou l'un de ses successeurs institutionnalise cela et une jour cela devient une manière de se procurer des ressources de vie. Et une fois que ces ressources sont instituées, il est facile de passer aux ressources de reproduction.

Le temps passe, l'écriture se met en place et de conteur, l'humain se fait écrivain. La population a augmenté, le besoin et la réponse au besoin s'institutionnalise: certains enfants « naissent » écrivains.

On peut préciser les dimensions critiques des popualtions nécessaires pour la mise en place de conteurs et d'écrivains en faisant un sondage dans les études ethnologiques pour les premiers – à partir de communautés de combien d'humains y a t il des conteurs – et l'histoire pour les seconds – à partir de communautés de combien d'humains trouve-t-on des écrivains. Il faut tenir compte de l'apparition du langage parlé et écrit mais une fois établi la date de début on peut raisonner comme si l'on avait à faire à une constante.

Nous pensons que dès que nous avons des traces d'œuvres d'art – il y a 20 à 30 000 ans – il doit y avoir des conteurs car la démarche est parallèle: même si au début le sculpteur doit trouver ses ressources grâce au travail agricole, il a déjà développé une technicité qui nécessite spécialisation. Après, c'est une histoire de murissement.

Quand, aux écrivains, ils ont du apparaître avec la désacralisation de l'écriture donc vers - 3000 ans en Chine, - 2000 ans au Moyen-Orient et – 600, en Europe. On peut donc dire que Bernard Clavel est le résultat d'un processus de près de 5 000 ans si nous raisonnons en histoire universelle et si nous acceptons l'idée qu'il n'y a aucune différence entre un écrivain chinois et un écrivain français en 2011.

Pour cette raison, il ne fait pas faire comme le reporter qui cherche chez Bernard Clavel, l'âme de l'écrivain ou son essence. Elle est un produit de l'évolution des humains. Pourquoi Bernard Clavel est-il écrivain? Pour les mêmes raisons que la personne que vous venez de rencontrer dans la rue vous a croisé: par hasard. BC est un humain. Pour vivre il recherche des ressources de vie et des ressources de reproduction. Au moment où il est nait, il existe des écrivains. Son cheminement l'amène à adorer la lecture puis à adorer l'écriture et puis un jour à gagner de l'argent à écrire des livres. Chez les éléphants ou dans les sociétés humaines où le métier d'écrivain n'existe pas, il aurait fait autrement pour vivre. Et si 2,5 millions de personnes ont lu son livre c'est parce qu'il y a 3 milliards de lecteurs potentiels et qu'un lecteur passionné achète au moins un livre par semaine soit un potentiel total – s'il a vendu ses 2,5 millions de livres sur 5 ans soit 500 000 par an – de 500 000 livres vendus sur 158 milliards de livres achetés, ce qui est un phénomène tout à fait normal.

Pourquoi chaque jour, un homme et une femme jouent-ils l'acte de reproduction? Il y a une cause évolutive et une cause éthologique c'est-à-dire justificative.

De nouveau nous allons partir d'une hypothèse fondatrice que nous ne pouvons pas prouver mais qui nous aident à comprendre le raisonnement évolutionniste et éthologique.

Chez les animaux, la stabilité des couples va du plus court – le coït – jusqu'au plus long, ce que nous avons appelé le couple monogamique éternel qui dure toute la vie du couple et même, de manière fantasmatique et social, bien au delà. Pour les enfants et les petits enfants, quand les parents et grands parents ont disparu, ils continuent à vivre dans leur esprit comme une unité. Et socialement, tant que durent les archives et les monuments, les noms des couples qui y figurent continuent à être une réalité pour ceux qui les lisent.

Les humains ont choisi le couple monogamique éternel. On peut estimer qu'il est le coeur de la sociabilité et pendant longtemps il a été le cœur de l'organisation sociale. Le pouvoir social s'appuyait sur la famille et même si aujourd'hui c'est l'élection qui est déterminante, le système de l'héritage financier et de compétence a pour résultats que les riches ont tendance à avoir des enfants riches et les pauvres, des enfants pauvres même si le déterminisme ne joue pas à 100%.

Comme le couple qui tendait vers la monogamie éternel l'emportait toujours sur le couple non monogamique, l'évolution est venue la renforcer. Au moment de la cristallisation, l'homme et la femme trouvent naturellement les paroles et le comportement qui leur fait promettre le cœur sur la main, spontanément, «avec leurs tripes » ou avec « leur cœur battant » que « leur union est à la vie à la mort ». Certains diront que c'est le résultat de l'éducation. Nous pensons que l'éducation renforce les rites, les injonctions et les interdits mais pas « le coup de foudre », « l'amour physique ». A ce propos, il faut faire un sort aux mariages de raisons et aux mariages sans amours – la mariage des paysans pauvres. Mais le folklore paysan nous rappelle que même dans les sociétés traditionnelle, l'amour passion existe et nous maintenons que cet amour passion est d'ordre éthologique.

Mais quelle est l'origine du coït gratuit quotidien?

L'histoire nous apporte deux types d'informations contradictoires. D'un côté, il semble que chez grand nombre de couples populaires, la tradition était de n'avoir de rapport que dans le but d'avoir un enfant. Par contre chez les puissants, il n'est pas rare d'entendre parler de maîtresses, de trahisons ou d'adultères. La situation s'est depuis largement répandue et a dépassé les limites des classes possédantes. Or quand on analyse les conséquences de la naissance d'enfants adultérins dans les familles des humains, on constate qu'elles sont déstabilisantes: il faut partager les biens de parents avec des étrangers, l'un des partenaires se sent lésé dans la redistributions des ressources de vie accumulés par le couple. Donc si l'on pouvait se passer d'enfants lors des relations extra-conjugales , ce serait une bonne chose.

Les humains ont donc inventé le coït quotidien afin d'empêcher le partenaire d'aller chercher ailleurs ce qu'il trouve sans difficulté dans son environnement immédiat. L'évolution a fait le reste: les couples qui coïtent chaque jour ont plus d'enfants et des enfants plus équilibrés que les autres. Ils deviennent de plus en plus nombreux au dépend de ceux où ce système ne fonctionne pas. Accessoirement, les humains ont inventé la prostitution: le coït hors couple mais où la reproduction est interdite. Là aussi l'évolution sélectionne les femmes qui par leur tripes refusent d'avoir des enfants avec leurs rencontres occasionnelles. Elles acceptent également de vivre dans l'instabilité car l'éthologie n'a pas voulu en faire une concurrente du couple monogamique: la prostituée bénéficie toujours d'un statut inférieure à celui de la femme mariée.